1. Clés en main

C’est sur le palier donnant sur son appartement que la vieille dame avait décidé de rendre les Clés.


Cabas et sac à main, au milieu de l’équipe –nombreuse- des pompiers et de leur matériel.

J’examine la patiente : pupilles écarquillées à l’extrême devant le spectacle du Paradis enfin atteint.

Le scope, lui, a décidé de nous montrer qu’il sait tracer une horizontale.

Ça semblait mal parti pour un miracle d’autant que, d’après le chef des pompiers, le voisin qui avait découvert la vieille dame était arrivé après la bataille.

Il avait donné l’alerte et commencé le massage cardiaque immédiatement mais nul ne pouvait dire depuis combien de temps la vieille dame gisait ainsi…
Intubation, pose d’une voie veineuse et hop, début du processus de réanimation… Le défibrillateur s’était activé une fois, sitôt mis en place par les pompiers mais n’était plus enclin à dépenser son énergie. Les pompiers eux en débordaient et massaient à qui mieux mieux.


Quand je me relève après avoir œuvré de mon côté, le pompier en chef m’annonce la couleur : une gentille voisine est partie chercher la fille de la vieille dame.
Il faut dire qu’elle habite à côté.
Aussitôt dit, aussitôt fait : une dame apparaît le visage aussi long que l’escalier qu’elle vient de monter.
Son mari suit de près : même mélange de tristesse et d’incompréhension.


Il est vrai que « 10 minutes avant », ils lui ont parlé au téléphone. « 10 minutes ? » Bizarre : il nous en fallu plus, rien que pour venir et au moins autant pour équiper la patiente… 


Je leur demande de descendre d’au moins un étage, le spectacle d’une réanimation n’a rien d’affriolant…

Régulièrement je les rejoins pour faire le point : je n’avais pas laissé beaucoup d’espoirs, je dégomme les derniers, un à chaque visite.


La dame finit par me demander de tout arrêter lorsque je redescends : parfois il y a des transmissions de pensées… « Maman nous avait demandé qu’on ne s’acharne pas… »


Je lui demande de nous laisser un peu de temps : nous allons enlever tout le matériel que nous avons dû utiliser et rentrer sa maman chez elle.

Le gendre nous précise qu’il s’agit de l’appartement du fond. Très bien. Je remonte, j’explique, on s’exécute.
On fouille les poches : deux jeux de clés (heureusement que celles-là la vieille dame ne les a pas rendues…).

Le pompier-chef se lance : une bonne vingtaine de clés, deux verrous…

Le temps passe, toutes les combinaisons possibles aussi… Je rédige les certificats.
Le pompier ne comprend rien : les serrures résistent.


Et là je vois le sac à main de la vieille dame, tout petit, bien rangé par un pompier bienveillant à côté de sa main…
Je le demande, on me le passe. Je l’ouvre : portefeuille, permis de conduire, le nom…


Moi (la lumière s’éteint): « Quel est le nom sur la porte du fond ? »
Le pompier (la lumière se rallume) : «…Dupond ».
Moi : « Ah ! Hmmm... Et sur l’autre porte ? ».
Le pompier : « Martin ».
Moi : « Hmmm (bis)…Essaie les clés pour voir… ».
Le pompier : « … »


Et là…

Miracles : la porte s’ouvre, la maman de la dame n’est plus morte et la belle-mère du gendre non plus, et le coup des « dix minutes » s’explique !


Ne reste que la vieille dame, étendue sur le palier, dont les enfants ne savent pas encore… qu’ils ont perdu leur maman…


Mais apparaissent quelques doutes aussi : pourquoi Mme Dupond ne s’est pas manifestée pendant que le pompier s’escrimait sur sa porte… et si elle avait été « prise d’une attaque » croyant être cambriolée…


On tambourine à la porte tant et plus, la fille use de son téléphone (ah… si elle avait les clés !), les pompiers envisagent une charge de cavalerie : il y a tant de bruit que les voisins réapparaissent. Les miracles ne sont pas silencieux….


Et la porte du fond finit par s’ouvrir elle aussi.


Tous les miracles sont intacts.
Le sourcil circonflexe, Mme Dupond nous regarde, un à un.


Et replace tranquillement ses sonotones…

Publiée pour la première fois sur le groupe Facebook "Perles du SAMU" le jour de sa création, le 17 novembre 2013.

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