18. Ishmaël

Le PUMA est prêt à décoller, rotors tournants.

L’infirmière-anesthésiste est assise à côté du médecin-commandant qui accompagnera.

C’est le règlement, c’est l’armée.

La couveuse est sanglée, tout le matériel est prêt.

 

Debout à côté de l’appareil j’ai un casque sur les oreilles et je communique avec le pilote.

 « Docteur, si le pédiatre n’est pas là dans deux minutes, on annule la mission et on débarque tout ».

 

Avec les ambulanciers on a tout préparé pour aller chercher un prématuré de 750 grammes dans l‘ile d’à côté. Mais pour cela il faut un néonatologue : un bébé si petit ça va être compliqué.

Hélas il est de l’autre côté de Fort-De-France, il arrive mais les bouchons sont énormes à cette heure.

 

« Docteur ! Soixante secondes ! »

Ma décision est prise et je lui réponds.

« C’est bon mon capitaine, on décolle, c’est moi qui y vais ».

Aussitôt dit, aussitôt fait. On ferme la porte, je me sangle, décollage.

 

J’ai l’habitude de l’hélico mais le PUMA et moi on a un compte à régler.

 

Oh ! Elle date d’une bonne quinzaine d’année cette histoire, quand en juin 91 l’un d’entre eux s’est crashé, dans le Rhin, presque sur mes pompes, pendant mon service au Centre d’Entraînement Commandos n°4 …

 

Quand on s’est posés une ambulance nous attendait. On est partis à trois : le médecin militaire, qui ne connaissait rien à la néonatalogie mais faisait son maximum pour nous aider, Véronique et moi.

 

Dans la salle de réanimation la pédiatre avait le dos tourné et, quand on est entrés, elle est venue vers moi et a plaqué le bébé contre ma poitrine, comme ça, sans rien dire.

J’ai lâché une des valises de matériel que je portais et je l’ai pris d’une main.

Je ne m’attendais pas à ça !

 

J’ai foncé vers la table de pédiatrie et je l’ai couché sur le dos, la tête vers moi.

Pas équipé, pas habillé : il était tout nu et se battait pour respirer.

Alors avec Véro on s’est activés.

Elle lui a posé une minuscule voie veineuse et puis je l’ai intubé, avec une 2,7.

 

On a passé du temps et on a mouillé nos salopettes mais on y est arrivé !

Alors on l’a mis dans notre couveuse et on l’a ramené.

 

Après avoir retraversé la mer des Caraïbes on est retournés en néonatalogie.

Le pédiatre m’a demandé : « T’es sûr qu’il pèse 750 grammes* ».

J’avais eu d’autres choses à faire et à penser sur place.

Mais après tout qu’est que ça aurait changé si j’avais su qu’il ne pesait que 570 grammes ?

Je ne l’aurais pas abandonné.

Même si, à ce poids, les chances qu’il survive et que son cerveau résiste, étaient insignifiantes…

 

Les Martiniquais ont fait quelque chose d’extraordinaire.

 

Sauver Ishmaël voulait dire le garder hospitalisé en Martinique.

Sauf que personne de sa famille ou de son pays ne pouvait payer les deux ou trois mois d’hospitalisation.

 

Dans les supermarchés on a vu pendant des semaines des associations collecter.

 

Et quand ces volontaires m’expliquaient ce qu’ils faisaient, et qu’il ne fallait pas laisser tomber Ishmaël, je donnais un peu d’argent.

 

Trois mois plus tard il rentrait au bercail et allait rejoindre sa mère qu’il n’avait jamais vue.

 

Douze ans après j’ai eu de ses nouvelles : il allait bien. Il va bien.

 

De corps comme d’esprit !

 

Mais moi, je ne l’ai jamais revu…

 


 

* La presse a repris ce poids de 750 grammes, mais Ishmaël n'en pesait que 570...

 

Publiée pour la première fois sur le groupe Facebook "Perles du SAMU" le 22 juillet 2018 à 18H42.

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